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La gazette du Thriller

01 juillet,2024

Usual Suspects

septembre 23, 2022
Usual Suspects

Scénario original, structure qui perturbe autant qu’elle intrigue, prestations magistrales… La recette d’un thriller policier exemplaire qui ne vous laissera pas sur votre faim. Ou sur sa fin. Ou peut-être que si. Allez savoir !

ATTENTION : LA CRITIQUE QUI VA SUIVRE PEUT CONTENIR DES SPOILERS.

Présentation

Genre : Thriller policier

Durée : 106 minutes

Date de sortie : 1995

Réalisateur : Bryan Singer

Scénariste : Christopher McQuarrie

Rôles principaux : Kevin Spacey (Verbal Kint), Chazz Palminteri (Dave Kujan), Gabriel Byrne (Dean Keaton), Stephen Baldwin (Michael McManus), Kevin Polak (Todd Hockney), Benicio Del Toro (Fred Fenster)

Intrigue : Dans le port de San Pedro, pas de marins qui chantent mais des cargos qui flambent. Verbal Kint ne paye pas de mine, mais il est le seul à pouvoir raconter aux enquêteurs la succession d’événements ayant conduits au drame.

D’une genèse chaotique...

Usual Suspects est aujourd’hui aisément cité dans les discussions sur les meilleurs thrillers de tous les temps, mais tout était loin d’être gagné d’avance.

Mis à l’épreuve

Avant d’être suffisamment satisfait pour se présenter aux studios américains, Singer fait écrire 9 versions du scénario à McQuarrie. Heureusement, les deux hommes se connaissent déjà bien, puisqu’ils ont travaillé ensemble sur le célèbre Ennemi public deux ans plus tôt.

Une fois Singer et McQuarrie tous deux satisfaits, reste à convaincre les producteurs. Petit problème : personne n’en veut ! La structure du film dérange et personne ne croit qu’un spectateur puisse accepter d’être ainsi malmené. Une seule boîte de production accepte de se joindre au projet. Elle est allemande et ne dispose que de peu de moyens. Comment convaincre de grands acteurs à succès de rejoindre une production qui ne pourra de toute évidence pas verser de cachets mirobolants ?

L’un des acteurs est tout désigné. Alors qu’il présente Ennemi Public au Sundance 1993, Singer rencontre Kevin Spacey. Ce dernier est formel : il VEUT être dans le prochain film du jeune réalisateur. Qu’à cela ne tienne - budget ou pas, il tiendra un rôle dans Usual Suspects. Singer lui fait lire le scénario sans dévoiler le rôle qui lui est désigné. Hasard ou destin, c’est celui de Verbal Kint qui retient son attention. Spacey convaincu décide de donner un coup de pouce à Singer pour réunir le reste du casting.

Premier interlocuteur de Spacey, Gabriel Byrne refuse d’abord le rôle. Sa situation personnelle ne lui permet pas de quitter Los Angeles ni de tourner plus de 5 semaines… Qu’à cela ne tienne numéro 2 : le film se fera à Los Angeles en 5 semaines. Singer et McQuarrie sont coutumiers des tournages express, puisque Ennemi Public avait déjà été tourné en 18 jours.

C’était écrit

Un bon réalisateur, un bon scénario, deux grands acteurs… Il n’en faut pas plus au reste du casting pour accepter les rôles qui leurs sont proposés, et ce malgré le faible budget du film. Le casting réunit par Singer avec l’aide de Spacey et Byrne n’aurait pu être plus efficace. Les 5 principaux protagonistes deviennent de véritables amis, au point de faire s’arracher les cheveux au réalisateur tant il peine à leur faire garder leur sérieux. L’une des premières scènes, celle de la parade d’identification, est un véritable calvaire pour Singer. Les acteurs sont pris de rires incontrôlables et font tout pour faire craquer Byrne, pourtant réputé très sérieux. Lorsque vous verrez (ou lorsque vous avez vu) la scène en question, vous comprendrez que Singer s’est finalement résigné à garder une scène de fou-rire complètement imprévisible. Comme quoi, l’imprévu a parfois du bon. La scène fonctionne parfaitement.

Autres impondérables de poids (in oxymore we trust), les bêtises des acteurs deviennent source de réalisme. Lors de la rencontre entre l’équipe et Redfoot, Greene doit jeter sa cigarette sur le torse de McManus. L’acteur manque son tir et c’est en pleine tête qu’elle atterrit. La réaction de Stephen Baldwin (McManus) est parfaitement naturelle et la scène est conservée.

Les contraintes spatiales et temporelles (imposées notamment par Byrne) causent inévitablement des conditions auxquelles l’équipe de tournage doit s’adapter. Le directeur de la photographie lui-même évoque les espaces restreints de tournage, qui ne laissent pas la possibilité de faire des plans larges notamment ou d’envisager des décors très ouverts, mais admet qu’ils ont finalement été une bénédiction. Les scènes se basent sur des travellings et des zoom très lents en alternance avec des plans serrés pour créer une sensation de mouvement dans un espace très limité. Effet réussi !

Les obstacles sur le chemin du film jusqu’à sa sortie ont finalement été les éléments déclencheurs de choix cruciaux dans son succès.

… la Renaissance du thriller

Les 6 semaines de la création

Les plus grands studios ont été rebutés par un scénario dont la narration non linéaire nous embarque dans un manège d’allers-retours étourdissant. C’est pourtant ce qui fait le charme et le succès du film.

Le carnage du port de San Pedro est la première pierre sur laquelle se construit l’histoire, elle en est aussi la dernière. Alors que Kint est amené à témoigner sur le drame de la veille, il lui faut revenir 6 semaines plus tôt pour narrer la suite d’événements qui y ont mené.

Un plaisir coupable nous pousse à suivre notre curiosité et voir se construire un récit palpitant parfaitement ficelé. Il s’ouvre sur une scène d’identification réunissant 5 criminels notoires aux profils différents mais complémentaires. Keaton est un ancien ripou qui voudrait bien se ranger mais que les quatre autres n’ont de cesse d’entraîner dans l’obscurité. McManus est un énervé de naissance qui cherche constamment le mot de travers qui justifiera une bonne bagarre. Fenster est son associé que personne ne comprend et que personne ne cherche à comprendre. Hockney est un spécialiste en explosifs bien utile pour le reste de l’équipe. Et au milieu de ces grands méchants, Verbal Kint, gentil petit boiteux accusé d’abus de confiance et propulsé au rang d’ennemi public pour s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Sa présence nous arrange bien, puisqu’il est l’un des deux survivants de l’explosion du cargo. L’autre, un hongrois défiguré, est le premier à mettre sur la table le nom de Keyser Söze, plongeant la police dans une panique silencieuse.

Son dénouement en apothéose par une révélation inattendue ressemble beaucoup à celui de Seven sorti la même année (et encore avec Kevin Spacey). Ce pattern devient très populaire (les producteurs ont enfin compris son intérêt) et est reproduit dans les années qui suivent dans The Game, Fight Club ou Sixième Sens pour ne citer qu’eux.

Le lancinant récit n’aura peut-être pas convaincu les producteurs américains au départ mais il est vite encensé par la critique. Il est classé à la 61e place des 500 plus grands films de tous les temps par Empire et à la 10e place des Meilleurs films à suspense par l’American Film Institute en 2008. Il obtient l’Oscar du meilleur scénario original et Kevin Spacey celui de meilleur acteur dans un second rôle. Mais s’il tient le second, qui tient le premier ?

Le Diable ressuscité

La plus belle des ruses du Diable est de vous convaincre qu’il n’existe pas.

Ces quelques mots de Baudelaire, repris approximativement par Verbal Kint, résument à eux seuls ce qui fait le succès du film.

Keyser Söze est intronisé par l’American Film Institute comme « 48e meilleur méchant » en 2003. Comment ce personnage qui, comme la fumée, nous file entre les doigts ne laissant que les cendres de ses méfaits a-t-il pu devenir la parfaite personnification du Diable lui-même ?

Au plus près, nous ne l’approchons que par le biais d’une chaîne relationnel complexe. Les 5 principaux protagonistes nous mènent à Redfoot. Redfoot les mène à Kobayashi. Kobayashi, le seul à réellement connaître Keyser Söze, fait tout pour ne pas les mener à lui. Même si c’est lui, tapi dans l’ombre, qui les mène finalement du bout du nez.

Que sait-on de ce personnage dont on vient à douter qu’il existe ? Il y a longtemps, en Turquie, une bande de hongrois décide de s’en prendre à lui. Ils violent sa femme et le menacent de la tuer, ainsi que ses enfants. Par fierté ou par folie, c’est Söze lui-même qui tue sa famille ainsi que la majeure partie de la bande hongroise, ne laissant derrière lui qu’un témoin pour laisser naître la rumeur du plus cruel des hommes en quête de vengeance.

Policiers et criminels craignent tous cet homme que personne n’a vraiment jamais vu. Les visages se font fermés et les regards paniqués à la simple évocation de son nom.

Le personnage fascine autant qu’il effraie. Singer le sait. Il laisse penser à chaque acteur qu’il est peut-être lui-même Söze et va jusqu’à leur faire tourner des scènes coupées pour les en convaincre. Certains auraient d’ailleurs mal réagi en apprenant finalement qu’ils n’incarnaient pas le grand méchant turc.

McQuarrie s’est inspiré pour créer le personnage d’une histoire vraie – celle d’un comptable qui a disparu pendant 20 ans après avoir tué toute sa famille. Pour ce qui est de son nom, nous avons fait de très frustrantes découvertes.

Vous connaissez notre amour fou pour l’onomastique (étude des noms de personnages, mais on ne va pas vous le répéter à chaque fois). Nous avions déjà abattu une masse de travail de recherche impressionnante (non) lorsque nous sommes tombés sur l’explication officielle des patronymes choisis.

Avant d’être (un excellent) scénariste, McQuarrie a travaillé dans un cabinet d’avocat. Le directeur dudit cabinet ? Keyser Sume. Söze est une légère adaptation du nom de famille et signifie « trop bavard » en turc. Vous devriez comprendre, si vous avez vu le film, ce que cela signifie.

De la même façon, nous proposions Keaton comme un mélange de quit (arrêter) et keep on (continuer) – deux verbes tout à fait parlants pour cet ancien flic pourri dont le coeur balance entre la vie rangée et les « derniers coups » qui n’en sont jamais vraiment. C’était si beau. On a un peu plus galéré sur les autres personnages, mais rien de tout cela n’a d’importance. La quasi-intégralité des noms sont ceux de collègues de McQuarrie au cabinet d’avocat.

McQuarrie a également fait partie d’une agence de détectives (ce CV incroyable). Il s’est largement aidé de cette expérience pour construire les personnages, criminels notamment, et être réaliste d’un point de vue légal.

Quoi qu’il en soit, il vous faudra comme tous marcher dans l’ombre de la vallée de la mort pour découvrir le Diable divin.

Scénario : 10/10

Réalisation : 8/10

Jeu d’acteur : 9/10

Frisson : 8/10

Moyenne : 8.8/10

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