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La gazette du Thriller

01 juillet,2024

Shutter Island

septembre 11, 2022
Shutter Island
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xemple même du thriller psychologique, Shutter Island nous embarque dans une aventure aussi étouffante qu’exaltante dans le monde de la psychiatrie du siècle dernier.

ATTENTION : LA CRITIQUE QUI VA SUIVRE PEUT CONTENIR DES SPOILERS.

Présentation

Genre : Thriller psychologique

Durée : 130 minutes

Date de sortie : 2010

Réalisateur : Martin Scorsese

Scénariste : Laeta Kalogridis

Rôles principaux : Leonardo DiCaprio (Edward Daniels), Mark Ruffalo (Chuck Aule), Ben Kingsley (John Cawley), Max von Sydow (Jeremiah Naehring)

Intrigue : 1954. Au sein de l’hôpital psychiatrique de haute sécurité de Shutter Island, une patiente a disparu. Les marshals Daniels et Aule arrivent sur place pour enquêter.

Bienvenue sur Shutter Island

Comme souvent, Scorsese est parvenu à recréer un univers pourtant peu commun avec une telle exactitude qu’il est crédible aux yeux de tous.

Si l’on doit l’oeuvre originale à Dennis Lehane (aussi auteur de Gone Baby Gone et Mystic River), l’adaptation scénaristique de Leata Kalogridis y étant d’ailleurs très fidèle, c’est le génie de Martin Scorsese qui parvient à nous emporter tout à fait (avec ou contre notre gré) au sein de l’hôpital psychiatrique d’Ashecliffe, sur l’île de Shutter Island.

Où le doux orage gronde

Dès les premières secondes du film, nous embarquons sur le ferry qui nous conduira de Boston au lieu de notre enquête. Les plus sensibles auront eux-mêmes un peu le mal de mer, peut-être sentiront-ils les embruns humidifier leur visage. Si tel n’est pas votre cas, pas d’inquiétude. Vous aurez bientôt le front humide. En pénétrant sur une île aussi sordide que fascinante, préparez-vous à voir perler la sueur à mesure que s’accélèrent les coups de tonnerre, réels ou métaphoriques.

Bon, nous n’avons pas le talent poétique de M. Scorsese. Contentons-nous alors de décrire la construction habile de l’ambiance si particulière de Shutter Island.

Rien d’étonnant concernant l’image : elle est, bien entendu, parfaitement soignée. Les palettes de couleurs nous baladent entre le sépia du film d’époque et le bleu marin. Les scènes de souvenir, particulièrement, sont des pépites scorsesiennes.

Pour n’en citer qu’une, prenons celle où Edward Daniels, autrefois soldat américain impliqué dans la délivrance de camps allemands, découvre le nazi qui vient de tenter de se suicider. Alors que, la moitié du visage arrachée, ce dernier tend le bras vers son arme pour s’achever, Daniels envoie valser son arme du pied avant de tourner les talons pour le laisser agoniser. Pendant toute la scène, des feuilles de papier volent dans la pièce, dans un ballet aérien magnifique accompagné d’une musique classique presque déroutante dans le contexte. La musique est par ailleurs discrète tout au long du film, laissant sa place méritée à l’orage qui gronde.

Plus on avance dans le film, plus le tonnerre se fait présent et pressant, il fait partie intégrante de la bande originale. Les scènes d’extérieur proches du précipice en plein vent sont à couper le souffle. Il n’est pas impossible que vous ressentiez l’irrémédiable envie d’enfiler une petite laine.

Un petit tour au monde des fous

Si l’île est froide et humide, vous ne vous sentirez pas bien plus en confort une fois franchies les portes de l’hôpital psychiatrique d’Asheville. Si le monde de la psychiatrie fait toujours peur à beaucoup aujourd’hui, c’est qu’il porte les stigmates des « asiles de fous » d’autrefois. Trépanations et lobotomies ne sont heureusement plus monnaie courante, mais l’hôpital présenté ici est tout à fait crédible pour les années 1950.

Fun fact : c’est un véritable hôpital psychiatrique qui sert de décor au film. Le Medfield State Hospital fut l’un des premiers à être construit selon un plan en « pavillons ». Alors que les asiles respectaient l’architecture proposée par le psychiatre américain Dr Kirkbride (cellules, ailes distinctes, éloignement des patients les plus dangereux), ce nouveau modèle en pavillons voit le jour – moins d’enfermement, tâches quotidiennes et regroupement par petites communautés… Une véritable bouffée d’air dans le monde de la psychiatrie, assez bien représentée dans Shutter Island. Le Medfield State Hospital est fermé depuis 2003 et partiellement détruit.

Fun fact dans le fun fact : le cimetière de l’hôpital ne présentait que des tombes numérotées, laissant dans l’anonymat les patients décédés sur place. Les noms qui peuvent aujourd’hui y être lus le sont grâce à l’œuvre d’un jeune boyscout dont le projet était de retrouver l’identité des personnes enterrées. Chapeau bas.

Le film représente d’ailleurs assez bien ces évolutions de la psychiatrie et de la considération portée aux patients. En la personne du Dr Cawley, nous découvrons que deux courants s’affrontent dans les années 1950 : la psychopharmacologie et la psychochirurgie. Où les premiers administrent des médicaments pour soigner ou calmer, les seconds s’adonnent à des procédures chirurgicales parfois très impressionnantes.

Il s’agit d’une réalité historique, de même que le lien entre lobotomie et nazis. Ces derniers l’auraient pratiquée sans précaution aucune sur des détenus de camps de concentration. On aperçoit vers la fin du film le « pic à glace » qui était utilisé pour lesdites lobotomies jusqu’à sa remise en cause au début des années 60.

Le Dr Cawley prône, quant à lui, une autre forme de psychiatrie : les patients sont des êtres humains avant tout, et parler peut les guérir. Une théorie à laquelle le marshal Daniels ne souscrit pas et remet régulièrement en cause à la fois les méthodes des psychiatres et le statut même d’être humain des patients.

Nous avons été particulièrement touchés du soin apporté à cette facette de l’intrigue. Les patients ne sont pas stéréotypés, ils ne sont pas tous à ranger dans la catégorie « fous à lier » et l’histoire de la psychiatrie est à la fois respectée et mise à l’honneur. De quoi satisfaire notre esprit malade, et le votre aussi...

Ne faites confiance à personne

Comment peut-on être interné dans un hôpital psychiatrique et ne pas s’en rendre compte ? Telle est la question du marshal Daniels que nous vous invitons à vous poser également. Car s’il est certain que vous ne devez faire confiance à personne sur Shutter Island, ne croyez pas même pouvoir faire confiance à votre propre esprit...

Attention, ce qui va suivre contient d’importantes révélations sur l’histoire. Nous vous conseillons de vous arrêter là si vous n’avez pas encore vu le film.

Ce que vous n’aviez pas vu la première fois

La première fois que vous avez vu le film, il y a fort à parier que la fin vous a surpris. Et tant mieux, c’est à cela que l’on reconnaît un bon thriller. Shutter Island fait partie des films qui méritent toutefois d’être vus une seconde fois, même si l’on connaît la fin, car la vérité éclaire le reste du film et des petits indices qui ne vous avaient absolument pas alerté la première fois vont vous paraître inmanquables.

Ton flingue, Chuck !

Vous le savez, Daniels est en réalité un ancien soldat devenu patient. Son « coéquipier », Chuck, n’est autre que son psychiatre. Il n’a donc aucune expérience des armes… Et nous aurions dû le savoir ! Pour pénétrer l’enceinte de l’hôpital de haute sécurité, les deux marshals doivent donner leurs armes. Chuck est extrêmement maladroit et met un temps fou à décrocher son arme de sa ceinture. Impossible que cet homme en porte une quotidiennement.

Un pansement pour l’esprit

C’est l’un des détails les plus commentés : le pansement que porte Leonardo DiCaprio dès le début du film. Si aucune explication ne nous est donnée, c’est que ce pansement est avant tout un symbole. Alors que le personnage principal déambule dans son monde imaginaire, il porte un pansement au front, comme pour dissimuler de sa propre vue la terrible blessure de la réalité. Ce n’est que lorsque la réalité est découverte que le pansement disparaît. Plus rien ne cache alors sa triste histoire, mais plus rien ne soulage non plus la plaie béante laissée par la mort de ses enfants et le meurtre de sa femme...

Onomastique, mon amour

Nous vous avions parlé il y a quelques temps déjà de la douce science qu’est l’onomastique : l’étude des noms de personnages. Ici, l’intrigue vous emporte si vite que vous n’aurez probablement pas pris le temps de faire les calculs, mais Dieu merci tout vous est révélé noir sur blanc sur le tableau du gentil docteur. Edward Daniels et Rachel Solando, l’enquêteur et la disparue, ne sont que les anagrammes de Dolores Chanal et Andrew Laeddis. Personne n’a disparu, personne n’enquête. Seul reste Andrew, un pauvre alcoolique qui a tué sa femme après qu’elle a noyé leurs trois enfants… Le fait que cette révélation se fasse dans le phare, le lieu ultime de la mise en lumière et du coup de projecteur, mérite d’être salué.

Autres indices

Il serait difficile d’être exhaustifs, mais nous pourrions aussi parler des allumettes que Daniels refuse d’utiliser parce qu’elles lui rappellent sa femme perdue dans un incendie. Alors qu’il s’enfonce dans la folie (ou dans la sanité), c’est lui-même qui les fait craquer frénétiquement. Rien d’étonnant, puisqu’il n’est autre que l’incendiaire imaginaire.

Notons aussi qu’il n’a jamais sur lui son paquet de cigarettes, contrairement aux autres… Évidemment, les patients n’ont pas leurs propres cigarettes sur eux. Ce sont les employés de l’hôpital, comme le psychiatre qui le suit sous les traits d’un soi-disant coéquipier, qui leur en fournissent.

Quant à ses vêtements, alors qu’il revêt « par hasard » un uniforme d’infirmier, les intempéries les teintent de gris jusqu’à ce qu’ils ressemblent à s’y méprendre aux vêtements des patients internés.

Il faudrait un article entier pour parler des regards entre les personnages qui dévoilent très tôt les rapports entre eux et les réelles enjeux de cette enquête. Ces regards favorisent grandement le sentiment claustrophobique qui prend et le personnage et le spectateur. Tout le monde est complice, nous sommes mis à l’écart, que faut-il comprendre ?

La fin après la fin

Comprendre ! En voilà un bien grand mot. Une fois la révélation du phare passée, vous pensez le mystère levé. Que nenni !

Laeddis a enfin levé le voile sur sa vérité. Ce pauvre homme se retrouve propulsé de marshal à patient, de veuf à meurtrier, d’enquêteur à objet d’expérience médicale. Reste à savoir si ces vérités resteront imprimées dans son esprit, comme l’espèrent ses psychiatres pleins de bonne volonté et de bons sentiments envers les malades.

Alors qu’il a enfin revêtu l’uniforme d’interné et qu’il s’assoit sur les marches à l’avant de son pavillon, nous espérons aussi qu’il reste conscient de sa propre inconscience. Lorsqu’il s’adresse à son psychiatre en l’appelant « Chuck », nous sommes désespérés. Il donne raison aux fanatiques du triturage de cerveaux, déjà équipés pour lui faire subir une lobotomie en règle.

« What would be worse : to live as a monster or to die as a good man ? ». Laeddis nous laisse sur cette question alors qu’il se lève pour suivre volontairement les infirmiers qui arrivent pour l’emmener armés de leur pic à glace. De quoi remettre en question notre toute récente déception ! Qu’y aurait-il de pire : vivre en tant que monstre ou mourir en homme bon ?, une question que se poserait un homme à la sanité retrouvée mais qui serait prêt à tout pour oublier… Sur son front, aucun pansement.

Cette ouverture n’est pas présente dans le bouquin et provoque aujourd’hui encore des débats endiablés, mais il nous paraît absolument irréfutable que la « méthode douce » de Cawley se soit en fait avérée tout à fait efficace sur Laeddis, et que sa peine seule l’oblige à remettre le masque du fou dans une dernière tentative inespérée d’oublier.

Scénario : 10/10

Réalisation : 9/10

Jeu d’acteur : 9/10

Frisson : 9/10

Moyenne : 9,3/10

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