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La gazette du Thriller

01 juillet,2024

Le Silence des Agneaux

juillet 29, 2022
Le Silence des Agneaux
I

mpossible pour nous d’ouvrir la tradition des Critiques du Vendredi par un autre film. Sans surprise, nous vous livrons notre analyse plus qu’élogieuse de la pépite du thriller : le Silence des Agneaux.

ATTENTION : LA CRITIQUE QUI VA SUIVRE PEUT CONTENIR DES SPOILERS.

Présentation

Genre : thriller horrifique

Durée : 118 minutes

Date de sortie : 1990 (Etats-Unis) / 1991 (France)

Réalisateur : Jonathan Demme

Scénariste : Ted Tally, d’après le roman de Thomas Harris

Rôles principaux : Jodie Foster (Clarice Starling), Anthony Hopkins (Hannibal Lecter), Ted Levine (Buffalo Bill), Scott Glenn (Jack Crawford), Anthony Heald (Frederick Chilton).

Intrigue : Pour coincer Buffalo Bill, effrayant tueur en série dépeceur de femmes replètes, le FBI, en la personne de Jack Crawford, envoie la jeune Clarice Starling à la rencontre du Dr Hannibal « Le Cannibale » Lecter, enfermé dans l’hôpital psychiatrique de haute sécurité dirigé par le détestable Dr Chilton.

Scénario

Thomas Harris a dépeint le Dr Lecter dans quatre romans : Dragon Rouge (1981), Le Silence des Agneaux (1988), Hannibal (1999), Hannibal : les origines du mal (2006). Si l’ordre des romans respecte la chronologie des faits, exception faite des Origines du Mal, la saga cinématographique ne revient sur l’épisode du Dragon Rouge qu’après les deux premiers films. Un choix audacieux mais tout à fait cohérent lorsque l’on regarde la tétralogie. Cet ordre ouvre l’appétence du spectateur pour le Dr Lecter avant d’en développer l’histoire. A noter : Thomas Harris n’a écrit Hannibal qu’après la sortie au cinéma du Silence des Agneaux. Pas folle, la guêpe !

Si nous prenons le temps de présenter l’œuvre de Harris, c’est que le travail de Ted Tally est extrêmement fidèle au roman dont il a préparé l’adaptation. Si vous avez l’occasion de lire le Silence des Agneaux, vous serez agréablement surpris de retrouver certains dialogues presque parfaitement identiques à ceux entendus dans le film.

Comme souvent pour les adaptations littéraires, le scénario est extrêmement solide. Ce qui a été pensé pour donner des frissons à la lecture n’en est que plus puissant à l’écran. Quelques scènes et personnages ont été modifiés, quelques-uns seulement après la sortie d’une version finale coupée. La présence du Département des Sciences du Comportement du FBI est toujours un plaisir, surtout lorsqu’il en est à ses débuts. Le roman étant sorti une dizaine d’années après la création du Département, les méthodes sont hasardeuses (petite pensée pour Mindhunter).

L’idée que le FBI fasse appel à un psychiatre psychopathe pour coincer un autre tueur en série, bien que peu crédible de prime abord, est un énorme atout. Elle rappelle la vérité historique de la création du Département : c’est des tueurs en série eux-mêmes que l’on tire le plus de connaissances nécessaires pour coincer les autres. Le Dr Lecter est dès le départ considéré comme un érudit de son domaine, capable de cerner le profil d’un tueur à partir de quelques mots dans un dossier (le fait qu’il connaisse en réalité Buffalo Bill n’est pas évident dès le début du film), et notre côté sapiophile en est comblé. Quant à Clarice Starling, elle est son parfait opposé. Bien que promise à une belle carrière, elle n’est qu’étudiante et enchaîne les maladresses qui, si Hannibal ne se prenait pas pris d’affection pour elle, auraient pu mettre fin à l’enquête avant même qu’elle ne commence. Si lui n’est capable d’aucune empathie, elle ne peut s’empêcher de se voir en chacune des victimes, allant jusqu’à se mettre en danger pour retrouver la fille la sénatrice Martin.

Buffalo Bill, pourtant objet principal de l’enquête, en est relégué au second plan tant la relation Starling-Lecter est fascinante. Il n’en est pas pour autant desservi, car les scènes le concernant restent de petits bijoux – c’est d’ailleurs le nom de son chien (Precious dans la version originale). Nous reviendrons sur la performance de Ted Levine un peu plus tard…

La structure de l’intrigue, très fidèle au roman de Harris, est intelligente. On se concentre d’abord sur la création du lien entre le FBI et le Dr Lecter, avant de découvrir un second psychopathe auquel le Dr Lecter lui-même nous aura préparé. L’alternance des scènes d’avancée de l’enquête côté Starling-Lecter-Crawford et des scènes de Buffalo Bill avec sa proie donne un rythme au film. Le moment crucial de l’évasion sanglante de Lecter permet de nous consacrer entièrement à la fin de l’enquête, avec une tension accrue et un rythme plus soutenu. Double soulagement au dénouement du film : le méchant psychopathe est mort, le gentil psychopathe est libre et prêt à reprendre ses activités culinaires particulières. Adieu, Dr Chilton.

Réalisation

Si l’on garde à l’esprit que le film date de 1991, la réalisation est plus que correcte. On ne s’attend pas à des techniques novatrices, ni à des effets de style trop marqués, qui desserviraient de toute manière un scénario qui se suffit à lui-même.

Les quelques éléments notables pour lesquels on remercie Demme :

  • Les apparitions de Lecter dans sa cellule. On est indubitablement ici dans le corps de Clarice. On le découvre, debout dans sa cellule, immobile mais menaçant, en se tenant à bonne distance de la vitre, comme nous l’a répété ce bon vieux Barney. Très vite, il faut que l’on s’approche de cette satanée vitre, alors que lui aussi avance dans sa cellule. Son visage est temporairement dans l’ombre, avant de réapparaître, nous laissant apprécier le regard intense et perçant avec lequel il nous fixe. Et puis, ce plan mythique – après nous avoir reniflé, nez tendu vers les aérations, pendant des secondes qui paraissent être des heures, son regard vient se planter violemment dans le notre, avec un petit rictus de fierté d’avoir pu deviner nos préférences en terme de parfumerie. Les yeux de Clarice, eux, ne parviennent pas à rester fixés sur le Dr Lecter. Son regard fuyant se balade entre le psychiatre et ses dessins de Florence. Ces 7 minutes de face à face, dont seule l’épaisseur d’une vitre empêche plus de proximité dans les dernières secondes, suffisent à nous rendre un peu amoureux (de Clarice ou d’Hannibal, c’est vous qui décidez). On retrouve cette même proximité dans les plans resserrés sur le visage de Crawford pendant ses échanges téléphoniques avec Clarice. Cela signifierait-il qu’entre le bien et le mal, le cœur de Clarice balance?
  • Clarice découvre la pièce de stockage du Dr Lecter. Tout est si sombre que le spectateur ne peut en voir plus qu’elle. Les plans se concentrent sur les quelques éléments que croise sa lampe de poche. La musique participe à faire monter le sentiment de malaise quasi-claustrophobique, jusqu’au moment fatidique de la découverte de la tête immergée dans un bocal de formol. Bien entendu, les plans serrés et la musique qui va crescendo vers l’angoisse, sans compter le zoom final sur la tête coupée, sont un peut les clichés du genre. Toujours est-il que ça fonctionne ! A noter : la musique d’Howard Shore se fait discrète sur toute la longueur du film. Sans y prêter particulièrement l’oreille, elle nous plonge simplement dans cette ambiance grinçante sans que l’on s’en rende compte. Un sacré plus, selon nous !
  • La scène de découverte de la maison de Buffalo Bill, en plan séquence, est bien pensée. On découvre son environnement (notamment les inoubliables papillons) avant de le trouver nu sur sa chaise, en plein travail de couture sur ses peaux humaines. Toujours chez Buffalo Bill, lorsque la jeune Martin tente d’attraper le chien tandis que lui danse travesti avec la musique bien trop forte pour entendre les cris est peut-être notre scène favorite ! L’intelligence du choix de la musique (Goodbye Horses – Q Lazzarus) et de son utilisation sont pour nous clés dans la description de Buffalo Bill. Dans son monde fait de paillettes et de papillons, rien n’est glauque. Alors qu’au fond de son puits humide et froid, la victime se bat pour sa vie, Buffalo Bill se maquille, danse et se dit que, quand même, il a bien envie de se b**ser. Un décalage parfaitement rendu par la gestion du niveau de la musique et la luminosité des deux environnements.
  • Les scènes d’Hannibal en cage. La douceur de la musique et de la lumière tamisée nous ferait presque penser que Clarice est parvenue à rendre le psychopathe gentil (et n’est-ce pas le rêve de toutes les petites filles ?). Jusqu’au choix de couleur de rideaux, tout nous semble offrir une sorte de cocon confortable. Et bien sûr, cela sert parfaitement la scène la plus sanglante de l’attaque sauvage de Lecter sur ses geôliers. Sa main ensanglantée caressant délicatement l’air au son de Bach est un délice. Un psychopathe, oui, mais un psychopathe qui a du style !

Casting

On va tenter de faire court : c’est presque un sans-faute !

Anthony Hopkins est tellement exceptionnel qu’il aurait pu rattraper le film entier s’il n’avait pas déjà été si parfait. Ses mouvements fluides, presque lents, son parler posé et soigné – tout dans l’incarnation du personnage permet de nous le rendre si plaisant, en contrebalançant la folie dans son regard. Hopkins est un véritable délice, rien dans son jeu n’est laissé au hasard.

Jodie Foster n’atteint peut-être pas l’excellence de Hopkins, mais qui le pourrait ? Elle parvient à nous offrir une Clarice à la fois frêle physiquement et terriblement forte mentalement. Contrairement à de trop nombreux thrillers qui dépeignent des personnages féminins stéréotypés – soit de petits êtres faibles et naïfs, soit des super-héroïnes dont l’intelligence les sauve de tout – le personnage de Starling devait absolument montrer cet entre-deux tellement plus crédible. Une jeune femme forte et ambitieuse, mais non moins impressionnée par les deux hommes qui rythment sa vie – Lecter et Crawford. Jodie Foster parvient si bien à l’incarner que nous regrettons amèrement son absence dans Hannibal

Ted Levine, qu’on voit finalement si peu, n’en est pas moins magistral. Se mettre dans la peau (ou dans les peaux) d’un tueur en série travesti persuadé à tort d’être une transsexuelle sur le point de sortir de sa chrysalide – un sacré défi qu’il relève, selon nous, haut-la-main ! C’est encore plus bluffant de parvenir à être aussi juste en si peu de scènes. Petit bonus pour le corps d’athlète et la technique très maîtrisée du « tucking » (pénis caché). Heureusement, on a mis des années à le reconnaître en tant que Leland Stottlemeyer dans Monk – un traumatisme d’enfance épargnée.

Crawford et Chilton, joués respectivement par Scott Glenn et Anthony Heald, donnent des performances tout à fait acceptables sans pour autant nous époustoufler. Leurs personnages sont un peu plus caricaturaux – le gentil supérieur protecteur et le méchant directeur narcissique – ce qui explique un jeu sans doute moins fin. Le personnage de Crawford est peut-être également desservi par l’absence de développement de son histoire personnelle. Dans le roman de Harris, sa femme est mourante et son attachement à faire réussir Clarice semble plus clairement un échappatoire à son immense peine. Heald joue en revanche le Chilton auquel on s’attend : il est détestable. Même si son ennemi principal est le méchant, il n’est pas un gentil ! Et toutes ses petites mimiques agaçantes sont, finalement, très réussie !

A-t-on frissonné ?

C’est un grand OUI ! Dire que le film manque de suspense serait criant de malhonnêteté. Il est bien présent, et à plusieurs niveaux. Le Dr Lecter va-t-il s’échapper ? Buffalo Bill va-t-il être attrapé ? La fille Martin va-t-elle survivre ? Au-delà d’être prévu dans le scénario, le suspense est bien mis-en-scène, servi tant par l’image que par la musique. Si vous n’avez eu les poils qui se dressent, c’est très probablement que vous n’avez pas de poil.

Scénario : 10/10

Réalisation : 9/10

Jeu d’acteur : 9/10

Frisson : 10/10

Moyenne : 9,5/10

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